Spectacle

Spectacle

Comme les deux faces d’une même pièce, les versions théâtrale et muséale du spectacle Madame De se répondent.

©Dorothée Thébert-Filliger


Madame De – L’équipe du spectacle

Idée de base/création de la robe du XVIIIe : Valentine Savary

Conception/mise en scène : Fabrice Huggler

Jeu: Rachel Gordy, Valentine Savary, Fabio Bergamaschi, Stéphane Augsburger

Scénographie : Philippe Maeder et Fabrice Huggler

Lumières : Philippe Maeder

Création musicale : Stéphane Augsburger

Chorégraphie : Fabrice Huggler en collaboration avec Fabio Bergamaschi

Création des costumes « contemporains »/aide pour la création de la robe du XVIIIe: Amandine Rutschmann

Son : Thierry Simonot

Régie son : Léo Marussich

Construction : Les Ateliers de décors du Lignon / Adrian Fernandez Garcia / Cyril Macq

Accompagnatrice du projet : Erzsi Kukorelly

Textes : libre adaptation de textes d’Arthur Rimbaud, Madame du Deffand, Henri de Régnier, Marie de Heredia alias Gérard d’Houville, Emile Zola, Rachel Gordy, Marcel Proust, Madeleine Pelletier, Virginia Woolf, Madame d’Epinay, Rachel Gordy

Valentine Savary
Fabio Bergamaschi
Stéphane Augsburger
Rachel Gordy

Entretien avec Valentine Savary et Fabrice Huggler

Valentine Savary, toute l’année durant, vous avez occupé le Grütli pour confectionner la robe qui est au cœur du spectacle Madame de… Que retirez-vous de cette longue traversée ?

Essentiellement une remise en question de ma relation au temps. Ce projet m’a fait découvrir la « slow-couture » : pour fabriquer cette tenue, j’ai voulu travailler avec des méthodes les plus proches de celles utilisées au XVIIIe, cela sous-entendait donc de bannir la machine à coudre et de travailler uniquement à la main. Je me souviens bien qu’après avoir fini la toute première couture de la première pièce, je me suis dit que jamais je n’arriverais au bout de ce travail ! Petit à petit, j’ai trouvé un rythme et cela a été très agréable, un peu comme une longue méditation. Au final, ce qui était le plus curieux, c’était de me retrouver dans cette bulle/atelier XVIIIe sur la terrasse du Grütli, au milieu de gens dans un tout autre rythme que moi. Et là, bam, le covid est arrivé, le bâtiment s’est presque entièrement vidé de ses occupants, et j’ai terminé la tenue dans un calme royal ;-).

Fabrice Huggler, pouvez-vous nous dire quelques mots sur qui était cette « Madame de ? »

Eh bien cette Madame De ce n’est personne… ou peut-être tout le monde… c’est du moins devenu pour moi (en l’amputant de son nom de famille, de celui de son mari surtout, et en ne gardant que la particule) une femme éponge, qui a absorbé les pensées de nombreuses femmes à travers les siècles. C’est une femme unique mais polymorphe, une vénus laide, une insomniaque, une bête sauvage, une accro du shopping, une garçonne, une amante de la nuit, une coquette, une féministe, une fiancée abandonnée… Et c’est aussi un peu Madame d’Epinay, qui a été (peut-être à son corps défendant) l’instigatrice de ce projet. Cette femme qui, au 18e siècle, s’est octroyé le privilège, généralement réservé aux hommes, de se montrer sans masque, de penser et d’écrire.

Valentine Savary, l’histoire de la mode est aussi l’histoire des normes sociales, des corps et des genres. Quel est le corps que cette robe construit ?

Un corps très éloigné du corps anatomique, un corps contraint et qui semble étrange à nos yeux. En effet, nous vivons une époque où les vêtements épousent les formes du corps à l’extrême, c’est l’influence du sportwear. Presque tous nos vêtements sont en jersey ou contiennent de l’élasthanne, pour notre grand confort. Au XVIIIe, sous leurs robes, les femmes portent des vêtements qui transforment et structurent leurs silhouettes : – les paniers, qui se nouent autour de la taille, créent du volume sur les hanches; – les corps à baleine enserrent le buste, écrasent et remontent les seins. Ces éléments sont rendus rigides par toute sorte de matériaux comme des fanons de baleine, du rotin, du métal… Les femmes de l’époque portaient ce genre de vêtements depuis leur plus jeune âge (même les petits garçons portent des corps) et donc étaient habituées a être entravées dans leurs mouvements. Pour Rachel, la comédienne, c’est une autre affaire ! Le corps à baleine est bien plus difficile à gérer, elle doit trouver son souffle malgré lui.

Fabrice Huggler, comment avez-vous pensé le passager de cette robe vers la scène ?

« Les trois Parques », par Bernardo Strozzi (env. 1635)

Quand Valentine m’a parlé de son désir de reproduire la robe de Madame d’Epinay et m’a demandé si j’étais intéressé à développer un projet théâtral à partir de cette parure, mon imaginaire s’est tout de suite mis en marche, il s’est même mis à bondir. Toute notre équipe a bien sûr effectué un travail de recherche considérable (interviews de spécialistes, visites dans les musées et leurs réserves, etc.), avec pour point de départ le 18e siècle, mais il était d’emblée clair que je ne souhaitais pas créer un spectacle historique ou documentaire. En redonnant corps à une femme peinte vers 1759, je suis parti du principe que ce personnage, qui s’éveille peu à peu devant le public, et dont on scrute l’intimité, ce n’est pas une femme dont la pensée s’est figée il y a 300 ans. Madame De est bien au contraire une femme qui, pour son bonheur ou son malheur, a absorbé les pensées de ses « descendantes » et porte désormais un regard critique sur l’évolution de la condition de la femme. Dès le départ, je me suis fixé également une autre « règle » : cette robe, ou cette femme, telle une Belle au bois dormant, n’allait pas pouvoir se réveiller sur scène d’elle-même. Car, puisqu’il faut « vêtir ceux qui sont nus », trois muses contemporaines, anges ou démons, l’entourent constamment, tirant les ficelles de ce spectacle et couvrant peu à peu ce corps de vêtements, de musique et de danse.