Le Courrier 23 nov 2018

Le Courrier 23 nov 2018

Article de Cécile Della Torre du 23 novembre 2018 paru dans le Courrier

La costumière habille le public

Dans Habillage en public, Valentine Savary proposera à une spectatrice de se glisser dans un costume du XVIIIe siècle.

Madame D’Epinay, femme de lettres, pose pour le peintre Jean-Etienne Liotard. La toile est visible au Musée d’art et d’histoire de Genève. «Liotard: catalogue, sources et correspondance», Marcel Rœthlisberger et Renée Loche.

Valentine Savary exerce le métier de costumière de théâtre, profession rare, qui attend toujours la reconnaissance d’un brevet fédéral en Suisse. Elle habille souvent les comédiennes et comédiens des mises en scène d’Eric Devanthéry, dont deux pièces de Victor Hugo bientôt à l’affiche de Pitoëff, à Genève. Elle est également fascinée par la reconstitution historique, qu’elle a pratiquée à Londres auprès de puristes réputées, à la School of Historical Dress ou au Shakespeare Globe.

«J’y ai pris des cours avec Jenny Tiramani, l’une des pontes dans ce domaine. Lorsque les Londoniens cherchent un type précis de lacet, qu’ils ne trouvent pas dans le commerce, ils le tissent.» Un art chronophage, à contre-courant de notre ère du tout-jetable et de la surconsommation.

Reconstituer le vêtement porté par l’écrivaine Madame d’Epinay sur la toile de Jean-Etienne Liotard, visible au Musée d’art et d’histoire de Genève, germe à son retour d’Angleterre. C’est là qu’elle se familiarise avec ce tableau référencé comme une source iconographique précieuse pour expliquer les différentes pièces constitutives du vêtement féminin du XVIIIe siècle.

Madame D’Epinay, amie de Rousseau ou de Diderot, a une trentaine d’années lorsqu’elle se rend à Genève, en 1754, afin de consulter un précurseur de la médecine douce. Elle s’y fait portraiturer dans sa robe bleue.
«Refaire cette robe revient à plus de cinq cents heures de travail, y compris les sous-vêtements. En somme, tout ce qui ne se voit pas sur le tableau: les dites ‘structures’, essentiellement composées du ‘corps à baleine’. L’idée est de ne pas utiliser la machine à coudre. Le temps de réalisation sera donc beaucoup plus long.»

Autour du corps contraint

En attente de fonds pour pouvoir réaliser son projet, et la pièce de théâtre dans laquelle il s’inscrira, Valentine Savary présentera au Galpon une sorte de work in progress en se focalisant sur un corps à baleine déjà réalisé pour le théâtre, autour de la thématique du corps contraint. L’idée est d’en habiller une spectatrice pendant sa conférence.

«Le corps à baleine apparaît au XVIIIe siècle, alors que la publicité pour les corsets lacés et serrés se développe au XIXe siècle.» Elle en expliquera le processus de fabrication, notamment les différences entre la réalisation d’un vêtement pour le théâtre et le travail de reconstitution historique. «Le costume de théâtre est censé être vu de loin. Les comédiens doivent aussi se changer vite.»

«Aujourd’hui, les fanons de baleine ne sont plus utilisés en couture. Ils présentaient l’intérêt de s’assouplir au fil du temps, comme le cuir des chaussures. Or ils ont été remplacés par un matériau plastique», note la costumière.
A son projet participera Marquita Volken, archéologue de formation, qui a entrepris un travail de reconstruction de chaussures anciennes, exposées dans son Musée de la chaussure à Lausanne. Valentine Savary l’a chargée de reconstituer les souliers portés par Madame d’Epinay. «On a perdu tous les savoir-faire ­existants. Elle doit les réapprendre, et ­tout faire elle-même», déplore la ­costumière.

Habillage en public sera complété par des lectures de Rachel Gordy, comédienne, en lien avec le vêtement féminin, qui marqueront une «respiration dans ce cours sur le vêtement historique». Erzsi Kukorelly, dix-huitièmiste spécialisée en études genre, interviendra également au cours de cette performance mise en scène par Fabrice Huggler.

Dimanche 9 décembre, 14h, Théâtre du Galpon, Genève, www.galpon.ch