Article de Judith Marchal du 9 septembre 2020 paru dans le Courrier
Une robe sur le devant de la scène
Spectacle issu d’un projet de la costumière Valentine Savary, Madame De interroge le vêtement féminin au Grütli.
A l’origine de cette création, deux femmes: Valentine Savary, costumière, et Madame d’Epinay, femme de lettres française du XVIIIe siècle. C’est au Musée d’art et d’histoire de Genève que la première découvre la seconde qui pose, un sourire en coin, sur un pastel de l’artiste genevois Jean-Etienne Liotard. C’est plus précisément de la robe bleue représentée sur la toile que naîtra le projet du spectacle Madame De. Pour l’occasion, la costumière a souhaité la reconstituer à la manière de l’époque, c’est-à-dire sans machine à coudre. Au total, sa confection nécessitera plus de 700 heures de travail, dont l’évolution peut être suivie grâce à des vidéos postées sur le site consacré au spectacle
Pour mettre en scène cet habit, Fabrice Huggler établit une réflexion autour de la condition du vêtement féminin à travers les âges. Couchée quasiment nue sur une sorte de table tournante – qui s’avérera être une commode aux mille tiroirs –, la comédienne Rachel Gordy se retrouve au centre d’un étrange cérémonial. Tandis qu’elle demeure inanimée, trois sombres personnages vêtus de noir la guettent tels des vautours, avant de commencer à la manipuler et à l’habiller. L’un des membres du trio n’est autre que Valentine Savary, à la fois costumière et interprète muette. En suivant la tradition de l’habillage de l’époque, cette Madame d’Epinay mettra finalement une heure et demie à enfiler sa tenue. Tandis que les textiles – toujours d’époque – s’accumulent, la vie la regagne et un monologue intérieur raisonne par bribes pour devenir la voix de femmes victimes de ces nombreux siècles d’injonctions vestimentaires. Rachel Gordy fait entendre 300 ans d’extraits féministes tirés d’autrices et d’auteurs comme Virginia Woolf, Emile Zola, Marcel Proust ou Madame d’Epinay, pour terminer sur sa propre réflexion autour de la crainte de porter une jupe dans le métro. Une longue introspection qui interroge la fonction du vêtement, qui, bien souvent, enferme plus qu’il ne libère.
En parallèle, divers interludes chorégraphiques du danseur et chorégraphe Fabio Bergamashi illustrent le ressenti de la jeune femme face à ses étoffes de manière saisissante, tandis que le musicien Stéphane Augsburger, muni de son luth, participe délicatement à l’atmosphère nébuleuse de ce long processus d’habillage.
Des qualités esthétiques qui finissent par prendre le pas sur le propos. Les longues pauses muettes exigées par la mise en scène et l’absence de contextes des différents extraits tendent à rendre trop difficilement accessible la compréhension du texte et de ses références historiques.
Il reste à saluer la belle initiative de Valentine Savary, qui, grâce à son idée et à sa performance sur scène, contribue à la mise en lumière de l’un des nombreux métiers de l’ombre, et pourtant essentiel, du milieu scénique.